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Harcèlement moral : les enquêtes au centre du débat — Entretien avec
Raphaël Avocats

Comment identifier les situations de harcèlement ? Comment mener à bien l’enquête que la DRH doit organiser après une dénonciation ? Quelles suites donner à ses résultats ? 


Rencontre et échange croisés avec des membres du Cabinet Raphaël, interlocuteur privilégié des entreprises sur le traitement de cette problématique, afin d’en savoir plus sur les bonnes pratiques à observer pour sortir de l’impasse.

Interview d’Isabelle AYACHE-REVAH, Avocat associé et de Margaux ORSINI Avocat Of Counsel

IDENTIFICATION


Les Cahiers du DRH

Comment Raphaël Avocats est-il devenu un acteur

des enquêtes internes ?


Isabelle Ayache-Revah

Notre ancien bâtonnier, Francis Teitgen, aime à dire que ce sont les dossiers et les clients qui font l’avocat, et pas l’inverse. Nous n’avons pas choisi de consacrer une partie importante de notre activité aux enquêtes, mais ce sont les enquêtes qui nous ont choisies. 


Nos clients ont pensé (à raison) que certaines enquêtes devaient être menées par les services RH de l’entreprise eux-mêmes en raison de la spécificité de certains comportements dénoncés, afin d’envisager une gestion « maison » des crises. Tout dépend en réalité de la nature des faits dénoncés. 


D’expérience, il est souvent préférable de confier à des cabinets externes spécialisés les comportements à connotation sexuelle afin d’éviter le mur du silence. En revanche, les déviances managériales sont souvent mieux traitées en interne : l’enquête « en famille » est plus efficace, car plus rapide et plus ciblée. Difficile de travestir la vérité lorsque l’on connait son interlocuteur depuis des années… Mais cela reste le choix du DRH. 


C’est ainsi que nous avons été conduits à préparer en amont, dans un premier temps pour nos clients, les enquêtes dites « internes » : coaching des RH et correspondants « behaviour » (correspondants RH des problèmes de comportements), détermination des personnes devant être entendue, dans le cadre de l’enquête, déroulé des entretiens, compte-rendu de restitution, rédaction du rapport, mise en place de coachings, de sanctions disciplinaires ou d’orientations professionnelle… puis des confrères nous ont confié leurs clients afin que nous menions en leur lieu et place ces enquêtes et, enfin, des entreprises qui nous étaient inconnues nous ont spontanément sollicité pour que nous leur apportions une aide.


CDRH

Les enquêtes que vous menez concluent-elles majoritairement à la qualification de harcèlement ?


I. A.-R.

Non. Les situations dénoncées qui nous sont soumises ne constituent que minoritairement un harcèlement caractérisé au sens de la loi ou de la jurisprudence.


CDRH

Pourquoi ? 


I. A.-R. : 

En raison sans aucun doute des politiques de sensibilisation et d’anticipation, des formations prodiguées aux managers, de la libération de la parole, qui ont permis de mettre un frein à des situations « limites » ou d’empêcher qu’elles ne surviennent.


CDRH

Est-ce à dire que les dénonciations sont majoritairement faites de mauvaise foi ? 


I. A.-R.

Je ne le crois pas. Certaines trouvent leur origine dans la protection offerte par la loi au lanceur d’alerte. Ainsi, lorsqu’après un entretien de  recadrage un collaborateur se plaint d’être harcelé, il convient d’être vigilant. Les mots ont peut-être été mal choisis, le ton était peut-être inadapté, mais on ne doit pas confondre harcèlement, anxiété et  instinct de survie. 


Bien souvent la victime présumée a été heurtée ou est malheureuse dans son travail. Elle n’est pas harcelée, mais il faut quand même remédier à sa situation. Quoi qu’il en soit, la notion de mauvaise foi est très difficile à démontrer. La Cour de cassation a, encore récemment, rappelé que cette dernière ne pouvait résulter que de la connaissance par le « dénonciateur » de la fausseté des faits qu’il rapporte, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés n’étaient pas établis (1).


Remarque de la rédaction :

De ce point de vue, et indépendamment du statut ou non de lanceur d’alerte appliqué à celui qui rapporte des faits de harcèlement (voir plus loin), n’oublions pas que ce dernier demeure protégé par la loi. Dès lors que l’employeur ne peut légitimement ignorer que, par sa lettre, le salarié dénonce bien des faits de harcèlement moral (et sans qu’il soit nécessaire qu’il ait littéralement qualifié de tels les faits reprochés) (2), son licenciement ne peut intervenir que si sa mauvaise foi est caractérisée (à défaut, il est nul (3)). 


Ce qui ne sera le cas que s’il avait connaissance de la fausseté des faits qu’il a rapportés (4). 

Un témoignage mensonger effectué pour causer un préjudice à l’entreprise ou l’un de ses salariés (5), ou l’utilisation consciente d’un faux à l’appui de la dénonciation (6) justifieront ainsi assurément un licenciement disciplinaire ; non le fait de se plaindre de harcèlement avec une certaine légèreté ou de manière systématique pour s’opposer aux directives de l’employeur (7).


CDRH

Comment alors comprendre ces dénonciations et les traiter ? 


I. A.-R. : 

Ce sont pour la grande majorité des comportements inadaptés (une familiarité non désirée par l’usage de sobriquets), un management autoritaire (difficultés pour le collaborateur de prendre des congés sans se faire sermonner ou de faire usage de la possibilité d’être en télétravail sans être culpabilisé, car en réalité le travail à distance gêne le manager), management désuet pour ne pas dire militaire, querelles sur fond de jalousie, la démonstration d’un stress au travail non maîtrisé et contagieux…


CDRH

Est-ce à dire que le harcèlement serait une notion théorique ? 


I. A.-R.

Je ne le crois pas. 


CDRH

Comment définir le harcèlement moral au travail ? 


Margaux Orsini

Il convient de se référer à l’article L. 1152 du Code du travail (qui n’a d’ailleurs pas évolué depuis la recodification du 1er mai 2008). Le harcèlement moral consiste donc en des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié,  susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. 


Les contours de cette définition ne cessent d’être étoffés par la jurisprudence. Encore très récemment, la Cour de cassation a souhaité préciser que le harcèlement moral n’impliquait pas que la répétition exigée par le dispositif s’attache à des agissements de nature différente.


(1) Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 21-22.301 : en l’espèce, les faits ne concernaient pas le harcèlement moral, mais le statut de lanceur d’alerte. (2) Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-21.053. 

(3) C. trav., art. L. 1152-3.

(4) Cass. soc., 7 févr. 2012, n° 10-18.035. 

(5) Cass. soc., 7 févr. 2018, n° 16-19.594. 

(6) Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.345. 

(7) Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554.


Nº 326 • LES CAHIERS LAMY DU DRH • JANVIER 2025 

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Isabelle Ayache-Revah

Associée fondatrice

Margaux Orsini

Counsel

Marjorie Bakzaza

Avocate Collaboratrice

Un cabinet combatif et expérimenté

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